Les poids monétaires du musée

Parmi les objets que le Musée Basque souhaitait présenter dès son origine, figuraient cinq poids monétaires de la ville de Bayonne. 

Ces poids ont été déposés à l’Hôtel de Ville en 1788 dans le but de servir de poids étalons. De forme cylindrique et pourvus d’un bouton perforé dans lequel est enfilé un anneau mobile, leur face verticale est ornée d'une gravure des armoiries de la Ville de Bayonne. 

Ils ont été confectionnés à Paris en 1787 par les soins de Dominique Dubrocq, échevin, puis réduits un an plus tard à la demande de la Chambre de commerce de Bayonne, par le sieur Michel, ouvrier de la monnaie. 

Les poids de 1, 2, 3 et 25 livres ont disparu dans l’incendie de l’Hôtel de Ville du 31 décembre 1889 ; subsistent, exposés au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, les poids de 4, 5, 10, 50  et 100 livres (ceux de 10 et 50 livres ayant perdu leur anneau).

La fabrication des monnaies jusqu’ au 19e s.

Dans l’Europe médiévale, les souverains concédaient le droit de battre monnaie selon des normes rigoureuses. Ils fixaient, par des ordonnances monétaires, le nombre de monnaies à produire dans une masse de métal (lingot ou bande appelée taille), dont l’unité de mesure était la livre ou le marc. On taillait donc un nombre déterminé de pièces dans une quantité donnée de métal en admettant une tolérance de masse (marge d'erreur admise) entre les monnaies produites et la masse théorique prescrite dans l'ordonnance monétaire.

Par conséquent, les ouvriers des ateliers monétaires dans lesquels étaient confectionnées les pièces devaient être vigilants sur la masse des espèces qu’il produisait.

La valeur d'échange d'une pièce dépendait donc essentiellement de sa masse et de son titre (proportion d’or ou d’argent contenue dans le marc). La masse pouvait cependant facilement être altérée par le frai (usure de la monnaie résultant de sa circulation) ou par la pratique du rognage (opération frauduleuse qui consiste à limer le pourtour d'une monnaie afin de récupérer un peu de métal).
Plus tard, pour éliminer le rognage, les monnaies porteront une tranche inscrite ou gravée d'un motif quelconque permettant à l'utilisateur de se rendre compte immédiatement de la fraude en constatant une tranche intacte ou endommagée.

Ainsi, la masse d'une monnaie ne correspondait pas à une valeur ronde (pour exemple, jusqu’en 1788 la livre bayonnaise pesait 490,7009 grammes) et la manipulation de plusieurs poids aurait été indispensable pour la pesée : c’est pour éviter cela qu’ont été créés des poids spéciaux, appelés poids monétaires ou dénéraux. Chacun d'eux pesait la masse exacte d'une monnaie bien déterminée et ils pouvaient se distinguer les uns des autres par des poinçons différents.
La fabrication des dénéraux, véritables étalons monétaires, était sévèrement règlementée. Elle était l'apanage des ajusteurs-jurés qui étaient tenus de poinçonner leurs produits.
Selon les lieux de production de monnaie, les poids monétaires, fabriqués en cuivre ou en laiton, pouvaient être ronds, carrés, rectangulaires, hexagonaux, octogonaux, quelques fois en forme de trapèze.
Ils portaient sur une face le dessin de la monnaie qu'ils étaient censés représenter, accompagné parfois du nom entier ou abrégé de celle-ci.
Dans certains cas, les initiales du souverain régnant accostaient le dessin.
L'autre face montrait généralement un symbole entouré par les initiales de l'ajusteur.
Au fil du temps, le perfectionnement des procédés de fabrication des pièces de monnaie réduisit considérablement les risques de frai et de rognage.
L'usage de peser les pièces devint obsolète et disparut totalement vers le milieu du 19e siècle.

 

L’Hôtel des monnaies de Bayonne (14e-19e s.)

L’établissement d’un Hôtel des Monnaies à Bayonne date de la période anglaise. En 1351, Edouard III d’Angleterre confirme aux Bayonnais tous les privilèges accordés par ses prédécesseurs et pour les remercier de leur fidélité et des services rendus à la couronne dans le conflit qui l’oppose aux Castillans, il autorise pour dix ans l’installation d’un atelier monétaire. Selon la volonté royale, les bénéfices retirés de cette activité doivent être investis par la ville dans l’entretien de ses fortifications.

Bayonne est alors un port de commerce et d’armement très actif où les monnaies étrangères affluent, alimentant la ville en métaux précieux. Converties sur place en livres, sols et deniers, elles sont réintroduites dans les circuits commerciaux et utilisées par les négociants bayonnais pour le règlement de leurs affaires.

Ainsi, en dépit d’interruptions dues aux aléas politiques et économiques, les ateliers monétaires de Bayonne et Bordeaux demeurent, tout au long de la Guerre de Cent ans, les lieux d’émission des monnaies anglaises qui circulent en Guyenne.

Ralliée à la couronne de France en 1451, Bayonne est à nouveau autorisée à battre monnaie par le roi Charles VIII en 1490. L’Hôtel des Monnaies de Bayonne, d’abord identifié par une ancre puis par un « L » au revers des pièces, émet jusqu’à sa fermeture définitive en  1837, essentiellement des pièces d’argent.

Du fait de leur multiplicité et de leur diversité, la valeur des monnaies en circulation subissait de fréquentes fluctuations. Chaque atelier monétaire confectionnait une monnaie ayant sa propre valeur. Dans les villes au Moyen-Age, coexistaient en général au moins une livre lourde ou livre grosse (pour les marchandises courantes dites avoirdepoids) et une livre légère ou livre subtile (pour les marchandises coûteuses) approximativement égale aux deux tiers de la précédente. Dès lors, sur les places commerciales plusieurs monnaies étaient en usage simultanément ; ainsi aux célèbres foires médiévales de Champagne (Lagny, Provins, Troyes et Bar-sur-Aube), ce ne sont pas moins de 4 livres différentes (rattachées à trois marcs distincts) qui étaient utilisées selon les transactions.

Ces poids bayonnais illustrent ces variations à la veille de la Révolution. Etalonnés en 1787 sur l’ancien poids bayonnais (490,7009 gr.), ils ont été réduits un an plus tard pour être alignés sur le marc de Paris (489,5058 gr.).

Cet ajustement a été motivé par une demande de la Chambre de Commerce de la ville, en date du 21 mai 1788. Il intervient dans un contexte de relance économique, au moment où le commerce bayonnais, fortement affecté par le durcissement des politiques fiscales françaises et espagnoles à son égard au 18es, connaît un nouvel essor grâce à la franchise accordée au port par Louis XVI en 1784.

Les monnaies à Bayonne aujourd’hui

Aujourd’hui, une seule monnaie officielle est utilisée en France et au-delà puisque l’euro en usage dans l’hexagone est également utilisé par les 16 autres pays membres de la zone euro qui seront rejoints par la Lettonie le 1er janvier 2014. En France, seule la Monnaie de Paris émet encore des pièces dont l’usine est implantée à Pessac en Gironde.

Cependant de nouvelles formes de monnaies dites complémentaires, parallèles, communautaires, locales ou solidaires, se sont développées durant ces dernières décennies. Ces nouvelles monnaies se multiplient (plus de 5 000 dans le monde).

C’est ainsi qu’au Pays Basque depuis le 31 janvier 2013 l’Eusko a été mis en circulation. D’autres  expériences de ce type existent en France comme le « Sol-Violette » à Toulouse, « L’Abeille » à Villeneuve-sur-Lot, Le « Galléco » en Ille-et-Villaine…

Il s’agit là d’un concept ancien, qui a connu une réactivation en Amérique du Nord au début des années 1980, et est arrivé en France au milieu des années 1990. Ces monnaies apparaissent le plus souvent sur le terreau du malaise socio-économique, à partir d'une réflexion critique sur la monnaie officielle. Les dispositifs imaginés associent des systèmes de fidélisation commerciale et le développement de projets citoyens sans but lucratif : il s’agit d’associer échange commercial et lien social.

Dans une nouvelle actualité liée à la mondialisation, le but est donc de renforcer l'économie locale d'un territoire donné, en permettant que les revenus engendrés localement soient dépensés sur place, et en y ajoutant des objectifs propres à chaque projet. L’un des objectifs de la mise en circulation de l’Eusko est par exemple de développer l’utilisation de la langue basque dans les échanges commerciaux.

Les initiateurs de ces « monnaies » récusent parfois le terme ; pourtant, dans la mesure où ces nouveaux instruments remplissent les deux fonctions d'unité de compte et de moyen de paiement, ils possèdent bien les attributs monétaires fondamentaux. Ils peuvent donc se révéler de puissants facteurs d'échange. La différence fondamentale avec la monnaie « officielle »  est que le pouvoir d’achat qu’il procure est limité à une zone géographique et/ou à certains partenaires adhérant au projet, alors que celui permis par la monnaie "officielle" est généralisé sur le territoire national. Cette validité restreinte fait justement leur intérêt et explique leur succès en ces temps de concurrence et de mondialisation. 

 

Pour aller plus loin 

Concernant les poids et monnaies de Bayonne :

- P. Burguburu, Les anciens Poids en cuivre de la Ville de Bayonne, dans le Bulletin du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, 1928-30, p 16-17.

- P. Burguburu, Fourniture d’un balancier à l’atelier monétaire de Bayonne à la fin du XVIIIe siècle, dans le Bulletin de la Société des Sciences Lettres et Arts de Bayonne, 1930-31, p 64-70.

 - A. Foltzer, Les Hôtels des Monnaies de Bayonne, dans le Bulletin de la Société des Sciences Lettres et Arts de Bayonne, 1930-31, p 288-316 et p.157-190.

Concernant les monnaies complémentaires :

- Sandra Moatti, Le boom des monnaies parallèles, dans Alternatives économiques, n°249, juillet 2006

- Site internet de euskalmoneta : http://www.euskalmoneta.org