Madeleine de Jaureguiberry, une femme engagée



Madeleine de Jaureguiberry, une femme engagée

 

En 2023, c’est au village d’Ordiarp  que revient l’honneur de présenter la pastorale estivale donnée chaque année par une commune de Soule.

 « Sibastarrak », ceux de la maison Sibasia,  située dans la commune d’Alos-Sibas-Abense, et plus particulièrement deux d’entre eux, Jean de Jauréguiberry et sa sœur Madeleine, ont inspiré Maritxu Negueloua qui signe ici sa première pastorale.

C’est la deuxième fois que Madeleine de Jaureguiberry est mise à l’honneur dans une pastorale après celle de Pier-Paul Berzaitz donnée en 2000 par le village d’Esquiule.

Ainsi, à cette occasion, nous avons décidé de nous pencher davantage sur ce personnage dont nous conservons certains écrits au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne.

  • Une vie entre la Soule et l’Argentine

Née en 1884, Madeleine est la troisième d’une fratrie de neuf enfants. Son père, Alexis de Jaureguiberry, souletin d’origine part travailler en Argentine à l’âge de 16 ans. Après vingt années de labeur, désormais établi et prêt à construire une famille, il rentre en Soule pour épouser une jeune femme de Sibas, Dorothée Erbin. Naissent rapidement les trois premiers enfants, Jean, Arnaud et Madeleine. La famille repart alors s’installer en Argentine. Dans les années qui suivent, Alexis a l’opportunité d’acheter la maison Sibasia qui deviendra le port d’attache de la famille en Soule, car plusieurs membres, dont Madeleine, feront des allers-retours entre les deux continents.

En 1914, alors que la guerre éclate, la jeune femme rentre en France après plusieurs années passées en Argentine, et s’engage comme infirmière. En 1918, son père décède à Sibasia. Madeleine s’installe alors définitivement dans la maison de famille.

Avec ce retour au Pays Basque, c’est une vie de militance qui commence pour la Sibastarra. En effet, elle s’engage tout au long de sa vie dans la défense et la transmission de la langue et de la culture basques, que ce soit au sein du mouvement eskualerriste, dans la défense des réfugiés d’Hegoalde pendant la guerre civile espagnole ou encore dans son combat pour l’introduction de l’enseignement du basque à l’école.

 

 

  • Le mouvement Eskualerriste  et la fondation de Begiraleak

En 1932, ont lieu à Saint-Jean-de-Luz les premières réunions de ce qui deviendra le mouvement « Euskalerriste ». L’Abbé Piarres Lafitte est à la tête de ce mouvement dont le credo est « Jainkoa eta lege zaharra » (Dieu et la loi ancienne), autrement dit la religion catholique et la tradition basque (dont la langue), qu’il s’engage à défendre et promouvoir. Il fonde rapidement l’organe de presse Aintzina. Madeleine rencontre ce mouvement par l’intermédiaire de son frère Jean, installé dans cette ville.  Elle prend alors réellement conscience de l’identité basque qui est la sienne, de l’importance de la langue et des traditions basques et par conséquent de la nécessité de les défendre et les transmettre.

Elle prend ainsi part au mouvement, et dès 1934, elle écrit dans Aintzina, en souletin sous le pseudonyme de Juanes Basaburu.

De plus, elle crée avec Piarres Lafitte, le mouvement de femmes Begiraleak  (les gardiennes), car les femmes sont les  gardiennes de « la foi, la langue [basque] et les traditions », qui sont les piliers à transmettre aux générations futures.

C’est Piarres Lafitte qui a l’idée de créer ce mouvement de femmes sur le modèle d’Emakume Abertzale Batza, né en Hegoalde en 1922.

Rapidement, les « gardiennes » proposent des représentations théâtrales en basque, des conférences ayant pour sujet le Pays Basque, des cours de basques dans les écoles libres de Saint-Jean-de-Luz, et également au sein de leur siège Gure etchea (notre maison).

Begiraleak collabore également avec Eskualzaleen Biltzarra, dans l’action autour de la promotion de la langue basque.

 

  • La défense des « frères » d’Hegoalde pendant la guerre civile espagnole

Lors de la guerre civile espagnole, alors qu’une grande partie de l’opinion d’Iparralde très catholique, rejette les nationalistes basques d’Hegoalde qualifiés de « rouges », car ils se battent aux côtés des communistes, Madeleine de Jaureguiberry, soutient ceux qu’elle nomme « nos frères que j’estime et j’admire »1. En effet, son amitié avec certains Basques réfugiés en Iparralde tel que José Migel Barandiaran, et les séjours qu’elle a effectués en Hegoalde, lui ont permis de comprendre la situation. Ainsi, si les Basques luttent aux côtés des communistes c’est parce qu’ils ont été attaqués par un ennemi commun et non par conviction politique.

Elle utilise divers moyens pour montrer à l’opinion publique que les basques d’Hegoalde sont de fervents catholiques : par l’écriture d’articles, ou par l’envoi de journaux qui défendent cette opinion à de nombreux correspondants partout en France. Elle n’hésite pas à aller jusqu’à Paris pour, preuves à l’appui, convaincre certains intellectuels et journalistes chrétiens parisiens (dont François Mauriac) et les inciter à l’aider à réhabiliter les basques d’Hegoalde auprès de l’opinion chrétienne et à les soutenir dans leur exil. Elle part également à Rome pour rencontrer l’évêque de Vitoria, Monseigneur Mateo Mugica, en exil dans la Ville éternelle, pour lui demander d’exprimer publiquement son soutien.

 

  • Enseigner la langue basque à l’école

En 1906, diplômée de l’école normale de Pau, Madeleine accompagne son père en Argentine, où elle commence à donner des cours de français aux enfants pauvres de Buenos Aires. Puis elle crée un cours privé et fait venir ses sœurs de Soule pour l’aider dans cette tâche.

A son retour au Pays Basque, elle enseigne dans des écoles catholiques en Soule, où elle souhaite introduire l’enseignement du basque à l’école primaire, ainsi que dans tout Iparralde. En effet, si les femmes sont les gardiennes de la foi, la culture et la langue basque, l’école doit aussi jouer un rôle dans cette transmission.  Nous conservons au Musée Basque une copie d’un courrier qu’elle envoie en tant que présidente des « begirale » au ministre de l’Education nationale en 1947, ainsi que d’autres textes qu’elle y a joints, écrits par des membres de la communauté éducative qu’elle a sollicités (les instituteurs et institutrices souletins Fabien Hastoy, M. DarrIère et J. Abadie, le directeur de l’école normale de Pau A. Etchart, ou encore le linguiste Henri Gavel)2

L’argument défendu par ces divers protagonistes est que l’enseignement du basque permet une meilleure maîtrise du français par l’élève. En effet, dans sa lettre au ministre de l’Education nationale, Madeleine l’explique : « il y a un fait indéniable actuellement : le français appris à l’école par les enfants se dégrade rapidement hors de l’école en contact de l’argot tandis que la même dégradation ne se produit pas en contact du basque ; si bien que dans les campagnes, le français appris à l’école se conserve plus pur que dans les agglomérations urbaines, où le basque a cédé la place à un français populaire mêlé d’argot »3

En 1951, la loi Deixonne qui autorise l’enseignement facultatif des langues régionales de France, est adoptée. Mais il est laissé au bon vouloir des professeurs.

Ainsi, pour les aider, Madeleine crée une méthode de basque destinée aux enseignements bascophones mais aussi non bascophones, car elle s’appuie sur des disques qui permettent aux élèves d’entendre et ainsi de pouvoir répéter la prononciation. Elle édite ainsi, à ses frais, un disque  contenant des chants, des fables et des exercices de conjugaison. Les textes des chansons et des fables servent notamment de base pour un exercice de version française. Cette méthode allie donc langue basque et langue française.

En 1959, Madeleine participe aux journées pédagogiques pour l’enseignement du basque à l’école qui ont lieu au Musée Basque, durant lesquelles elle présente sa méthode par le disque. Cette réunion aboutit à la création de l’association Ikas dont l’objet  est de favoriser l’enseignement du basque à l’école. Madeleine intègre le conseil d’administration.

 

En reconnaissance de ce travail de toute une vie, en 1969, elle reçoit les Palmes académiques du ministère de l’Education nationale, pour sa contribution exceptionnelle à l’enrichissement du patrimoine culturel basque. En 1975, après avoir été pendant de longues années membre correspondant de l’Académie de la langue basque (Euskaltzaindia), elle en est nommée membre d’honneur.

 

Elle décède deux ans plus tard, en 1977, à l’âge de 93 ans, à Tardets.

 

 

A ne pas manquer

La pastorale Sibastarrak donnée les 30 juillet, 4 et 6 août 2023 à Ordiarp.

 

Bibliographie

  • Madeleine de Jauréguiberry : Omenaldia-Hommage, Eusko Ikaskuntza, Lankidetzan bilduma (21), 2001 
  • Journées pédagogiques pour l’enseignement du basque à l’école, Gure Herria, numéro spécial, septembre 1959.
  • Pier-Pol Berzaitz, Madalena de Jaureguiberry pastorala, 2000
  • Pier-Pol Berzaitz, Madalena Jaureguiberry (1884-1977), Bidegileak, Eusko Jaurlaritza, 2000
  • Madeleine de Jaureguiberry, « Jacques Maritain », dans Gure Herria, 1973ko 3garrena, pp.184-188
  • Madeleine de Jaureguiberry, « Jacques Maritain et les basques», dans Gure Herria, 1973ko 6garrena, pp.349-366
  • Argia Olçomendy, « Madeleine de Jaureguiberry, pour une pédagogie de la langue basque », dans Spirale - Revue de recherches en éducation 2021/2 (N° 68), pages 83 à 93
  • Michel Oronos, Le mouvement culturel basque : 1951-2001, Elkar, 2002

 

- Fonds Ms 270 conservé au Musée Basque

  • Lettre de Mademoiselle de Jauréguiberry, Présidente de "Begirale" mainteneuse de la langue et des traditions à Monsieur le Ministre de l'Education nationale pour la défense du français [et du basque]en Pays Basque (Ms 270-2)
  • [Note J. Abadie, institutrice à Alos-Sibas], [1947]
  • De l'utilisation possible et souhaitable de la langue basque dans l'enseignement du français, par les maîtres et maîtresses des écoles primaires du Pays Basque, par Fabien Hastoy, 1947
  • Défense du français au Pays Basque. [Note du M. Darrière , instituteur de Tardets
  • A propos de l'enseignement de la langue basque par Henri Gavel
  • Déclaration au sujet du basque et du français dans les écoles du Pays Basque par A. Etchart  [1947].
  • Les enfants qui parlent le béarnais, sont-ils handicapés dans les études secondaires ? par Denis Palu Laboureu [1947]
  • L' Enseignement au Pays Basque par Madeleine de Jaureguiberry [s.d.]

 

 

 

 

 

 

 

 



1. Propos rapportés par Jean-Claude Larronde dans son article «Madeleine de Jauréguiberry et le mouvement eskualerriste. Son action dans la guerre civile », dans Madeleine de Jaureguiberry : Omenaldia –Hommage, Eusko Ikaskuntza, 2001

2. Fonds Ms 270 conservé au Musée Basque et de l'histoire de Bayonne, voir liste ci-dessus.

 

3. Lettre de Mademoiselle de Jaureguiberry, Présidente des « Begirale », mainteneuse de la langue et des traditions, à Monsieur le Ministre de l’Education nationale pour la Défense du français en Pays Basque.